Au début des années 1890, la firme STUMM multiplie les initiatives et les sondages dans la région à la recherche de gisement ferrifère. Le plan d’exploitation retenu vers 1894 surprend par son originalité, au lieu d’entamer le gisement au moyen d’un puits vertical ou d’une galerie latérale, il propose de l’approcher par en dessous en traçant un long tunnel incliné.
Les investissements mobilisés sont énormes. À Entrange, les travaux débutent en 1895 et durent une dizaine d’années, dont sept sans la moindre production. Pendant toute cette période, l’entreprise dépense des sommes colossales : construction des bâtiments industriels, des cités ouvrières, d’une voie ferrée, paye des 300 employés... Pour accepter de tels risques financiers, il fallait que les bénéfices escomptés soient considérables. En fait, Charles-Ferdinand Stumm lance un double pari, technique et économique.
L’enjeu technique paraît simple, la galerie est conçue pour limiter les risques d’inondations souterraines. À plusieurs reprises en effet, les mines de Rochonvillers, Tressange et Angevillers doivent fermer “à cause de l’envahissement des eaux”. En passant sous le gisement, la galerie Charles-Ferdinand sert de collecteur et draine les niveaux supérieurs. Une pente constante facilite la circulation de l’eau vers l’accès d’Entrange. De là, les rejets gagnent le ruisseau du Reybach et le bassin de la Kiesel.
Du point de vue économique, l’opération semble infiniment plus risquée. La production étant principalement destinée aux usines Stumm de Neunkirchen, il faut réduire au maximum les frais de transport et limiter les ruptures de charge. Dans l’absolu, le chemin de fer constitue la solution idéale pour assurer le transport du minerai. La mine d’Entrange disposera donc de deux lignes complémentaires. La première est destinée à l’acheminement du minerai en surface, la seconde voie doit permettre l’expédition du minerai vers la Sarre.
À Entrange, les travaux préparatoires commencent en 1895. Chaque année, le service des mines reçoit un plan d’exploitation détaillé. Celui de 1896 est en quelque sorte l’acte de naissance de la mine Charles-Ferdinand.[...] La progression des travaux semble tout à fait satisfaisante selon les rapports successifs dressés entre 1896 et 1900 qui notent que “la grande galerie Charles-Ferdinand a été poussée très activement”. En février 1900, le chef d’exploitation annonce même une moyenne de 110 mètres par mois. La longueur totale de l’ouvrage est évaluée à un peu plus de 6 km. Tout ceci ne peut se faire sans une main d’œuvre conséquente. Le chantier du tunnel commence en 1896 avec 40 ouvriers. Entre 1900 et 1905, l’effectif progresse de 100 à 400 personnes. Il a doublé en 1910. À la veille de la Première Guerre mondiale, la mine compte 900 employés. Au moment de l’industrialisation, les bassins miniers et sidérurgiques subissent un bouleversement démographique sans précédent. Parfois, l’arrivée massive d’étrangers entraîne la création de nouvelles communes : Entrange, détachée d’Œutrange devient ainsi indépendante en 1902. En l’espace de 15 ans, de 1895 à 1910, une localité rurale comme Volmerange passe de 900 à 1400 habitants. Et dans certains cas, le rapport numérique s’inverse entre mosellans et immigrés. À Hettange par exemple, les étrangers deviennent plus nombreux que les villageois. Le bourg qui comptait 800 à 900 âmes voit en effet tripler ses effectifs. Les retombées économiques de l’activité minière sur l’économie locale sont très importantes.
Il suffit pour s’en convaincre de considérer le nombre de familles qui vivent directement de la mine. À Volmerange, qui compte un peu plus de 1600 habitants en 1931, on en dénombre environ 240. À Œutrange en 1939, les ouvriers mineurs représentent 65 % de la population.
En 1960, la Lorraine figure en tête des régions industrielles les plus actives du pays. Le chômage y est quasiment inexistant. Les 57 mines du bassin assurent 94 % de la production nationale et les perspectives sont très encourageantes. Avec 1 800 000 tonnes en 1961, Charles-Ferdinand n’a jamais autant produit. Dans un contexte si favorable, on comprend l’incrédulité et la colère des mineurs à l’annonce des premiers licenciements, en 1961. Pour abaisser les coûts de production, la mécanisation ne suffit plus. Désormais, les effectifs sont menacés, on prévoit annuellement la suppression de 500 postes.
Le plan de modernisation de 1975 annonce de nouvelles réductions d’effectifs, il reste 8600 emplois répartis dans 30 mines appartenant à 13 sociétés différentes.
En décembre 1978, la mine Kraemer ferme, son personnel rejoint les autres sites du groupe Arbed. Entre 1974 et 1977, l’effectif total de Charles-Ferdinand passe de 182 à 108 personnes, celui des ouvriers, de 148 à 85.
Le Comité d’Établissement de la Mine Charles-Ferdinand se réunit le jeudi 16 novembre 1978 à 16 heures. Cette réunion marque officiellement la fin de la mine Charles-Ferdinand, fixée au 31 juillet 1979.
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Vers 1900, le Kanfenois Léon HIPPERT conduit la locomotive à la mine Charles-Ferdinand.

Le drapeau de la société « BONNE CHANCE » des mineurs de Kanfen

sur le carreau d’Entrange,
vers 1906. A droite, la forge et le magasin. En arrière-plan, la centrale électrique avec ses cheminées caractéristiques. Archives Siemens, Munich.
Extrait du livre de Philippe STACHOWSKI « LE TEMPS DES MINEURS » Serge Domini Éditeur
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